dimanche 3 janvier 2010

Dernier jour

Dans le brouillard du jour qui se lève, autour d'un thé des boutiques aseptisées de l’aéroport du Caire, nous repassons les images et photos montages réalisés, pour les nouveaux amis rencontrés ces derniers jours et qui partent eux aussi. A une table voisine, une femme à l'allure soignée, belle natte tressée et maquillage ton sur ton de sa tenue de voyage, nous interroge « Vous étiez à l'ambassade de France ? » Cela devient un signe de ralliement ! La conversation s'engage sur l'écho médiatique de cet événement et sur l’intérêt suscité par cette marche arrêtée au Caire sur un trottoir d'ambassade. La dame travaille pour les Nations Unies, elle est américaine et nous confirme : "Nous produisons régulièrement des rapports sur la situation en Palestine et à Gaza, sur les violations du droit international et des accords internationaux, c'est la mission confiée aux Nations Unies. Nous informons sur l'état sanitaire et les besoins de la population dans la bande de Gaza. Tous les Etats sont au courant par l'intermédiaire de leur représentant à l'ONU, tous les gouvernements savent ce qui est en train de se passer, et je n'hésite plus - dit-elle - à prononcer le mot, génocide, pour ce qui est en cours, mais voilà personne ne bouge ... J'ai des amis journalistes qui seraient intéressés par vos images, puis-je leur transmettre vos coordonnées ?" Et comment, Clément ! Echange de mails, de sites, l'audience s'élargit encore.


Plus tard dans l'avion, nos images servent à nouveau de prétexte pour entrer en contact avec nos voisins. Un couple de marocains bien mis, venus faire du tourisme en Egypte et qui réagissent à la vue des images sur l'ordinateur : " C'est vous qui étiez à l'ambassade ? " Et c'est reparti, la dame se demandait comment rejoindre cette manifestation, et soutenir à sa manière cette initiative, ils nous félicitent d'avoir fait ce que la population égyptienne ne pouvait pas faire et regrettent l'attitude des pays arabes. Monsieur nous explique que si les Marocains apprennent qu'il y a des internationaux dans l'avion, ils viendraient nous accueillir en héros à l’aéroport de Casablanca. On se calme, on se calme!
Retenons que cette Marche immobile a peut être réveillé des consciences et fait naître des espoirs.
Qu'elle soit une graine pour que pousse le respect des droits de l'homme et du droit international.

Ali-Patrick et Patrice

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Ne ratez pas la vidéo réalisée la semaine dernière devant l'Ambassade de France au Caire :

samedi 2 janvier 2010

Dernières rencontres


Nous avons passé cette dernière journée cairote dans la chambre à écrire et à finir le montage de la galerie de portraits faite hier devant l'ambassade de France et à ajouter du son qu'un des marcheurs a eu la bonne idée de prendre au hasard des lieux : rue, manifestations, débats, chansons. Patrice y a déjà passé une partie de la nuit. Nous nous interrompons pour des aller retour au Net café du coin de la rue et faire une pause déjeuner vers 15 h.
Le marchand de falafel dispose d'un petit balcon au dessus de sa boutique. Sur des tables bancales et des sièges approximatifs, on assiste au spectacle de la rue depuis cette loggia à colonnettes, au-dessus des beignets d'aubergines, des frites et des radis noirs.

Sur le trottoir d'en face - enfin sur ce qui a été un jour un trottoir - le café voisin a installé ses chaises. Des hommes s'y arrêtent, commandent un café et une chicha. Le serveur s'agite, traverse et retraverse la rue, slalome entre les véhicules, piétons, charrettes ou voitures, apporte les cafés, les narguileh, hèle son assistant qui amène dans une grande louche les tisons à disposer sur le tabac parfumé. Un groupe de vieux messieurs en tenue traditionnelle, longue toge et cheich blanc, s'est installé autour d'une table ; à coté, derrière de vastes corbeilles tressées des femmes vendent nonchalamment des légumes appétissants ; Une petite charrette tirée par un âne s'arrête, son conducteur récupère auprès des vendeuses deux ou trois cagettes vides et les rajoute à son chargement déjà conséquent. C'est le recycleur de cagettes. Plus tard dans la journée, ce sont les éboueurs qui passent, tirant d'immenses sacs où ils récupèrent les ordures des quartiers riches, qu'ils trieront dans leur bidonville situé sous la Moqattam, la montagne résidentielle qui surplombe Le Caire.


Repus de beignets et d'aubergines confites, nous retournons au travail pour s'apercevoir que le montage vidéo contient un gros plan sur un des contacts égyptiens. Il faut absolument l'effacer et tout reprendre ! Ce n'est qu'à 16 h que nous filons au Net café pour expédier notre message avec un jour de retard.
De là nous rejoignons les amis au deuxième hôtel, où l'on nous fait un résumé de la réunion d'hier avec des représentants du mouvement social égyptien (où ce qu'il en reste, compte tenu de la répression ...)
Les Égyptiens présents ont d'abord regretté de ne pas avoir eu de contacts préalables avec les organisateurs de cette marche internationale qui n'ont répondu que très tardivement à leurs questions.
Ils sont néanmoins heureux de ce qu'ont pu faire les internationaux et nous félicitent d'avoir donner de la visibilité à la question palestinienne et au cas particulier que pose la bande Gaza à l'Égypte. La construction du deuxième mur au sud de la Bande de Gaza par exemple est une découverte pour eux sur laquelle le gouvernement Égyptien se garde de communiquer !
Ils souhaitent à présent qu'une meilleure coordination se mette en place et espèrent travailler avec les organisateurs de la Marche à de futures mobilisations. Une nouvelle réunion est programmée pour le lendemain même heure même endroit, c'est a dire aujourd'hui. Nous y allons.
La réunion se tient au 5eme étage d'un immeuble bien caché derrière les étalages de fruits et légumes ; Il faut demander sa route à l'entrée tellement le lieu est improbable. Le bureau/salle de réunion est grand ouvert sur la cage d'escalier monumentale du vieil immeuble ; Deux rangées de banquettes défoncées aux velours râpés se font face et les responsables associatifs discutent autour d'un bureau. Les traductions se font en différé : arabe-anglais puis anglais-arabe, avec quelques demandes de précision en français, ce qui ralentit beaucoup les discussions. L'ordre des prises de parole est strictement respecté, les femmes s'expriment autant que les hommes. Difficile pour nous de comprendre quelque chose aussi nous quittons les lieux pour aller se restaurer;
En empruntant la rue Talaa Harb, on tombe en arrêt devant les célèbres cinémas égyptiens des années 50 : des quasi monuments historiques ! Nous ne résistons pas à la curiosité et prenons un billet pour la séance de 22h. On pénètre dans une architecture art déco, accompagnés par des ouvreuses souriantes sous leurs foulards pailletés ; Elles nous conduisent au café shop pour patienter et faire consommer le client : cappuccino, coca, pepsi,... de grands escaliers mènent au balcon qui se cache derrière de lourds rideaux de velours défraîchis. La salle est gigantesque, comme on ne l'imagine plus en Europe ; un large plafond voûté semé d'immenses rosaces de plâtre où ont du pendre des lustres aujourd'hui disparus, des sièges qui semblent sortis de l'écran en noir et blanc, et s'étalent à perte de vue à l'orchestre, de petits balcons privés comme dans un théâtre à l'italienne. Un calcul approximatif nous fait évaluer la capacité de la salle à 1200 places ! Une musique occidentale sirupeuse accueille les spectateurs qu'un ouvreur débonnaire essaye bon gré mal gré de placer. Il y a là des jeunes couples, parfois avec poussette et enfants, Saïd et Saïdate très digne sous le voile, des groupes de jeunes un peu plus agités, ... La séance tarde à démarrer ; Nous étions là surtout pour le spectacle de la salle, aussi nous laissons le film mélo-romantique prévu, pour aller faire nos sacs.
Départ demain aux aurores : lever 4h pour être à l'aéroport à 5h ; décollage à 7h.

vendredi 1 janvier 2010

Triste Vache qui rit

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Grasse matinée jusqu’à 9h pour le premier jour de l’année ! Pas de programme précis, aussi au petit déjeuner nous décidons d’accompagner quelques copains à l’ambassade de France, histoire de humer l’ambiance de ce qui est devenu au Caire le symbole de la marche internationale arrêtée, et une véritable attraction ;

L’ambassade est justement placée en face du zoo, le long de la large avenue du Nil. Une longue file de camions militaires stationne côté zoo, tandis qu’à l’opposé, un cordon de CRS égyptiens fait face à l’ambassade. Debout sur la chaussée, ils semblent des robocops de petite taille avec les visières de nuque rabattues et leurs grosses chaussures de cuir montantes ; en s’approchant, on découvre sous les casques des visages de grands adolescents, attentifs au moindre mouvement du supérieur qui passe régulièrement pour faire réaligner le rang. Ces malheureux restent là pendant des heures en attendant la relève, plusieurs malaises ont eu lieu nous dit-on et les enfermés volontaires ont négocié avec les services de sécurité qu’ils puissent avoir des bancs pour s’asseoir pendant la nuit.
On pénètre ou on sort de cette enceinte bien gardée par une des extrémités du trottoir. Sur 150 mètres, le trottoir est occupé par des tentes, des sacs à dos, des valises et des cartons pas encore repliés de la nuit. Le mur est couvert de panneaux et de banderoles soutenant la Palestine, appelant à la marche internationale ou réclamant les bus pour aller à Gaza. Le milieu du trottoir est un promenoir où les derniers éveillés se dégourdissent les jambes, où l’on commence une conversation à 2 pour la finir à 5. Une petite vie s’est organisée entre les besoins quotidiens (manger, boire, dormir, et le reste …) et l’activisme militant. Certains balayent le trottoir, d’autres vont chercher les repas au restaurant voisin, une revue de presse avec sa traduction est affichée, des réunions quotidiennes ont lieu à heure fixe.
Nous continuons notre galerie de portraits avec ruban adhésif. Nous retrouvons Monseigneur Gaillot qui dort là depuis le début, je fais quelques pas avec cet homme courageux qui se souvient de l’Ardèche et de la mobilisation pour Khedher. Nous nous asseyons un moment pour parler car il n’a pas l’air en forme.
Sans que l’on s’en soit aperçu, le trottoir s’est vidé, et quand nous voulons partir, il est impossible de sortir ; la raison est vite connue : les internationaux ont organisé une manifestation devant l’ambassade d’Israël à quelques pas d’ici. Nous n’avons pas été prévenu et il faut maintenant attendre que cela soit terminé pour sortir.
Deux heures plus tard, au retour des manifestants, nous avons un compte rendu en direct : 5 à 600 personnes, essentiellement des internationaux mais avec quelques égyptiens, ont réussi à s’approcher de l’ambassade et à manifester pacifiquement contre le blocus, les violations du droit international par Israël, et en soutien aux palestiniens.

Sitôt le blocus du trottoir de l’ambassade levé, nous rentrons et sur le chemin nous faisons quelques emplettes dont une commande spéciale de boite de « Vache qui rit » en arabe. Le jeune commerçant qui nous sert comprenant que nous sommes français se hasarde à nous parler de Gaza ; il nous fait comprendre dans un anglais difficile qu’il est palestinien et nous sort de son tiroir caisse son passeport de réfugié (écrit en partie en français, s’il vous plaît …) ! Ses parents ont été contraints de quitter Jaffa après 1948, puis El Kods (Jérusalem) pour se réfugier en Egypte où sa mère est arrivée enceinte de celui qui nous parle. Sa famille est aujourd’hui dispersée entre l’Egypte, la Jordanie et l’Amérique. Abasourdis par notre rencontre fortuite et par ce résumé de la vraie grande Histoire, nous quittons la boutique en lui demandant de signer la boite de « vache qui rit » et en le remerciant de sa confiance.

Ali-Patrick et Patrice