Grasse matinée jusqu’à 9h pour le premier jour de l’année ! Pas de programme précis, aussi au petit déjeuner nous décidons d’accompagner quelques copains à l’ambassade de France, histoire de humer l’ambiance de ce qui est devenu au Caire le symbole de la marche internationale arrêtée, et une véritable attraction ;
L’ambassade est justement placée en face du zoo, le long de la large avenue du Nil. Une longue file de camions militaires stationne côté zoo, tandis qu’à l’opposé, un cordon de CRS égyptiens fait face à l’ambassade. Debout sur la chaussée, ils semblent des robocops de petite taille avec les visières de nuque rabattues et leurs grosses chaussures de cuir montantes ; en s’approchant, on découvre sous les casques des visages de grands adolescents, attentifs au moindre mouvement du supérieur qui passe régulièrement pour faire réaligner le rang. Ces malheureux restent là pendant des heures en attendant la relève, plusieurs malaises ont eu lieu nous dit-on et les enfermés volontaires ont négocié avec les services de sécurité qu’ils puissent avoir des bancs pour s’asseoir pendant la nuit.
On pénètre ou on sort de cette enceinte bien gardée par une des extrémités du trottoir. Sur 150 mètres, le trottoir est occupé par des tentes, des sacs à dos, des valises et des cartons pas encore repliés de la nuit. Le mur est couvert de panneaux et de banderoles soutenant la Palestine, appelant à la marche internationale ou réclamant les bus pour aller à Gaza. Le milieu du trottoir est un promenoir où les derniers éveillés se dégourdissent les jambes, où l’on commence une conversation à 2 pour la finir à 5. Une petite vie s’est organisée entre les besoins quotidiens (manger, boire, dormir, et le reste …) et l’activisme militant. Certains balayent le trottoir, d’autres vont chercher les repas au restaurant voisin, une revue de presse avec sa traduction est affichée, des réunions quotidiennes ont lieu à heure fixe.
Nous continuons notre galerie de portraits avec ruban adhésif. Nous retrouvons Monseigneur Gaillot qui dort là depuis le début, je fais quelques pas avec cet homme courageux qui se souvient de l’Ardèche et de la mobilisation pour Khedher. Nous nous asseyons un moment pour parler car il n’a pas l’air en forme.
Sans que l’on s’en soit aperçu, le trottoir s’est vidé, et quand nous voulons partir, il est impossible de sortir ; la raison est vite connue : les internationaux ont organisé une manifestation devant l’ambassade d’Israël à quelques pas d’ici. Nous n’avons pas été prévenu et il faut maintenant attendre que cela soit terminé pour sortir.
Deux heures plus tard, au retour des manifestants, nous avons un compte rendu en direct : 5 à 600 personnes, essentiellement des internationaux mais avec quelques égyptiens, ont réussi à s’approcher de l’ambassade et à manifester pacifiquement contre le blocus, les violations du droit international par Israël, et en soutien aux palestiniens.
Sitôt le blocus du trottoir de l’ambassade levé, nous rentrons et sur le chemin nous faisons quelques emplettes dont une commande spéciale de boite de « Vache qui rit » en arabe. Le jeune commerçant qui nous sert comprenant que nous sommes français se hasarde à nous parler de Gaza ; il nous fait comprendre dans un anglais difficile qu’il est palestinien et nous sort de son tiroir caisse son passeport de réfugié (écrit en partie en français, s’il vous plaît …) ! Ses parents ont été contraints de quitter Jaffa après 1948, puis El Kods (Jérusalem) pour se réfugier en Egypte où sa mère est arrivée enceinte de celui qui nous parle. Sa famille est aujourd’hui dispersée entre l’Egypte, la Jordanie et l’Amérique. Abasourdis par notre rencontre fortuite et par ce résumé de la vraie grande Histoire, nous quittons la boutique en lui demandant de signer la boite de « vache qui rit » et en le remerciant de sa confiance.
Ali-Patrick et Patrice