jeudi 31 décembre 2009

Une nuit de manipulation

La journée d’hier s’est terminée par un repas collectif dans un restaurant du centre, sur une avenue grouillante de monde. Un genre de fast food à l’ambiance lisse de cafétéria de supermarché qui ne sacrifiait rien au bruit de la rue encombrée de véhicules et de klaxons. Difficile de se parler dans cette caisse de résonance truffée de policiers.

Parmi les solutions envisagées, la tentative de forcer le passage est la mieux partagée. Notre organisation explore cette hypothèse et tente de mettre sur pied une alternative pour se rendre à El Arish : taxi, mini bus, lignes régulières, …

Avant de rentrer se coucher, nous nous arrêtons au Net café voisin de l’hôtel pour notre envoi quotidien ; il y a là un des marcheurs qui en alimentant son blog a découvert une interview d’un ministre égyptien qui déclare sur Al Djazeera que l’Egypte fera un geste envers les humanitaires en laissant passer deux bus vers Gaza, le reste des internationaux est invité à profiter des plages ou des monuments historiques égyptiens … L’info fait vite le tour de ceux qui ne sont pas encore couchés et sème le doute : faut il y croire ? est ce un début d’ouverture ? que sous entendent ces propos ?

Il est une heure du matin quand nous éteignons les lumières, perclus de questions.

Le sommeil est difficile à trouver. Dehors des chats se battent, et les klaxons résonnent encore dans la nuit du Caire.

Vers 3h du matin le téléphone de Patrice sonne puis celui de la chambre retentit. C’est Florent qui informe laconiquement qu’un bus doit partir vers 7h pour Gaza suite à une négociation aboutie dans la nuit ; une seule personne de notre organisation pourra monter à bord ; il faut donc rassembler rapidement dans sa chambre les médicaments et les vivres que chacun à amener, afin qu’il puisse les porter à celui qui partira.

J’enfile rapidement un pantalon et une veste et descend 4 étages plus bas en prenant soin de ne pas faire de bruit. D’autres n’ont pas ce genre de précautions, les couloirs de l’hôtel chuchotent, les portes couinent ou grincent, l’ascenseur marque de sa sonnerie tous ses arrêts dans les étages.

La chambre de Florent s’est transformée en pharmacie. Il faut trouver un sac où regrouper les dons éparpillés dans une dizaine de sacs plastiques ; en accord avec Patrice, je sacrifie mon sac à dos (qui avait fait le GR 20 corse …) et nous décidons de nous rendre au départ des bus pour faire des images.

A 6h 30 ce qu’il reste de la nuit s’accroche en lambeaux gris au brouillard du petit matin, quand nous partons à pied pour la gare routière, en traversant l’île Gézira sur le Nil. A cette heure le grand pont du 6 octobre est presque vide : les véhicules ne sont plus au pas comme en pleine journée, mais roulent à pleine allure dans un joyeux tintamarre de tôles pour les plus âgés.


Il nous faut tourner longtemps dans la gare routière pour trouver les bus, encadrés par la police. Sur le large trottoir, c’est à la fois l’espoir et la contestation qui prévalent. Quand nous arrivons, une centaine de personnes sont là, avec caméras et appareils photos ; les partants ont déjà rempli le premier bus. Il semble que le deuxième bus ait des difficultés à se remplir.

Des pancartes sur du carton se sont improvisées : « GET OUT OF THE BUSES », « LET US ALL GO » « 1300 PERSONS OR NO ONE ». Ça discute fermement devant le cordon de sécurité qui donne accès au portes du bus. Une américaine égrène le nom de ceux qui ont été choisi par leur délégation. Les conditions de la négociation autour de ces bus de dernière minute reste mystérieuse et nous éclairerait pourtant bien sur la position à tenir.

Faut il se réjouir de voir ces deux bus partir ou regretter qu’il n’y en ai pas plus sur le départ ?

Un escadron de militaires casqué et équipé de boucliers se met en place à l’arrière des bus. Il est temps de partir, d’autant que peu d’entre nous ont pu dormir et que nous sommes tous partis le ventre vide. Un deuxième escadron se met en place à l’avant des bus. Nous ne sommes pas là pour jouer aux gendarmes et aux voleurs avec la police égyptienne.

Retour à l’hôtel pour un petit déjeuner et tenter de rattraper le sommeil. Les flics sont partout, un des marcheurs qui souhaitait rentrer en France doit montrer son billet d’avion pour pouvoir sortir de l’hôtel ! 3 personnes qui partent sont aussitôt pistées par les policiers qui interrogent serveurs et réceptionniste sur leur numéros de chambre.

Pour nous rendre à la réunion collective convoquée à midi sur la terrasse restaurant de l’autre hôtel nous sortons légers un guide touristique à la main pour faire diversion et passons deux rues pour prendre un taxi.

Avec de la hauteur et un peu de sommeil, les choses s’éclaircissent. Nous apprenons que les bus ne sont finalement pas partis. Yazid, notre délégué monté dans le bus est là et explique la manipulation dont ont été victimes les négociateurs eux même.

Code Pink l’organisation américaine qui agissait seule, avait réussi semble t il à négocier 2 bus pour aller à Gaza. Cette organisation a alors demandé en début de soirée aux autres organisations de désigner sous 20 minutes de désigner une ou deux personnes pour faire partie du convoi.

Bien que la méthode ne soit pas satisfaisante le collectif français d’associations a accepté la proposition après avoir bouclé l’information avec les contacts sur place à Gaza (PCHR) et avec l’ambassade de France (qui n’était pas au courant). Yazid a été désigné comme délégué. Dans la nuit, les référents des groupes de marcheurs ont été alertés pour rassembler les dons.

Au départ du bus, alors que les délégués avaient pris place, une américaine a pris la parole dans le bus en disant avoir fait une erreur en acceptant ce deal proposé par Moubarak, suivie d’un officiel égyptien qui a félicité les heureux délégués et parlé en termes insultants envers les contestataires à l’extérieur du bus ; 10 minutes plus tard le même officiel explique que les palestiniens ne souhaitent pas la venue des internationaux à Gaza, et tente une démonstration en branchant son téléphone sur le micro du bus alors que Yazid vient d’avoir son correspondant à Gaza. Devant cette mascarade, les délégués se sont tous levés pour quitter le bus pendant qu’à l’extérieur les escadrons de policiers prenaient place autour des véhicules signifiant clairement que la partie était finie. Entre temps les communiqués officiels avaient fait le tour des agences de presse, et l’on pourra lire dans les journaux du jour même : l’Egypte fait un geste pour Gaza.(voir ci-dessous nouvel observateur du 30 décembre : )

Mais rien sur la construction du mur souterrain sur la frontière sud de Gaza, plus grand chantier égyptien depuis les années Nasser en 1960 !

Au cours de cette réunion, Florent nous a confirmé que les éclaireurs envoyés soit en solo par des itinéraires détournés, soit en bus régulier, soit en taxi se sont fait refoulés à des étapes plus ou moins avancées de leur voyage pour El Arish sans jamais atteindre leur but. Il est donc hors de question d’organiser de telles expéditions.

Un large débat a suivi ces informations où la nécessité de rassembler le millier de personnes éparpillés dans la ville et de rendre visible leur détermination aux yeux de la presse internationale s’est fortement exprimé.

La marche internationale pour la liberté à Gaza se passera le 31 décembre au Caire.

La vidéo du faux départ des 2 bus :
Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo


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Vu dans la presse française…
Le Caire autorise cent manifestants à marcher vers Gaza

NOUVELOBS.COM | 30.12.2009 | 07:38
Les organisateurs de la marche vers Gaza ont accepté l'offre du Caire de permettre à 100 des 1.400 manifestants bloqués de se diriger vers Gaza. Les militants qui resteront au Caire ont annoncé leur intention de poursuivre les actions en cours.

Les autorités égyptiennes ont proposé d'autoriser 100 des 1.400 manifestants bloqués au Caire à marcher vers Gaza. Les organisateurs de la manifestation internationale ont accepté cette offre, a-t-on appris mercredi 30 décembre.
Cette décision a divisé les délégués de 43 pays venus au Caire en vue de rejoindre l'enclave palestinienne à partir de Rafah, ville à cheval sur l'Egypte et la bande de Gaza, pour marquer le premier anniversaire de l'offensive israélienne contre le territoire palestinien.
"C'est une victoire partielle", a justifié Medea Benjamin, un militant américain et l'un des organisateurs de la manifestation, face à la colère affichée par certains militants.
Il a précisé que le ministère égyptien des Affaires étrangères avait proposé que les organisateurs choisissent les 100 délégués qui seraient autorisés à passer à Gaza. Ces derniers devaient quitter la capitale égyptienne pour l'enclave palestinienne mercredi matin.


Poursuite des actions en cours


L'offre égyptienne a irrité un grand nombre de militants. Un organisateur français a estimé qu'elle visait à semer la division en leur sein.
"Cela va juste permettre au gouvernement égyptien d'obtenir quelques photos et la possibilité de dire "nous avons laissé les gens passer"", a estimé Bassem Omar, un manifestant canadien. Les militants qui resteront au Caire ont annoncé leur intention de poursuivre les actions de protestations en cours.
Les militants pro-palestiniens ont organisé plusieurs manifestations et sit-in pour protester contre l'interdiction égyptienne. Des dizaines de militants français campent ainsi devant l'ambassade de France. Un organisateur français a indiqué que le sit-in allait continuer.
L'Egypte a indiqué avoir empêché les manifestants de se rendre à Gaza en raison de la "situation sensible" dans l'enclave palestinienne.
Du 27 décembre 2008 au 22 janvier 2009, Israël avait lancé une offensive dévastatrice contre le mouvement islamiste Hamas dans la bande de Gaza, faisant plus de 1.400 tués palestiniens, selon des sources palestiniennes.

(Nouvelobs.com)
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A bientôt

Ali-Patrick et Patrice